Pourquoi j'ai peint les maîtres chinois
J'ai découvert la poésie chinoise il y a vingt ans, en entendant un poème de Li Bai, et elle ne m'a plus quittée depuis. Elle ouvrait un espace unique dans le champ de mes amours littéraires. Depuis, je lis souvent de la poésie le matin, comme on prend des vitamines. Elle a une qualité de fraîcheur, de paix et d'humour qu'on ne trouve pas dans la poésie d'occident. J'ignore pourquoi elle me fait un tel effet ; j'ai l'impression de respirer un grand bol d'air frais venu de temps très anciens. Par ailleurs, les grands poètes et peintres étaient aussi des maîtres spirituels, inspirés par le taoïsme, le bouddhisme ou le confucianisme. Des modèles de sagesse - et de folie. Puis j'ai découvert les grands paysages chinois, au cours de quatre voyages : Yunnan, Guilin, Zhang Jia Jie, Gansu, Tai Shan… J'aime passionnément marcher dans les montagnes, peintes par les grands peintres tout au long de l'histoire. J'y ai fait de multiples croquis.
Le portrait est une discipline typiquement occidentale ; de 2006 à 2009, j'ai peint les portraits des 40 êtres qui ont le plus influencé ma vie. Et puis m'est venue l'idée de faire les portraits des vieux maîtres chinois qui accompagnent ma vie et ma pensée. C'est la branche chinoise de mon arbre de portraits.
Comment faire le portrait de poètes et de peintres dont il n'existe pas de photographies ? Ce sont évidemment des portraits imaginaires. L'idée qui m'est venue est celle d'un dialogue entre la tradition chinoise du paysage et la tradition européenne du portrait, en réalisant des PORTRAITS-PAYSAGES.
Pendant toute la saison de peinture des douze maîtres chinois, penseur, peintres et poètes (Lao Tseu, Han Shan, Tao Yuan Ming, Wang Wei, Li Bai, Du Fu, Li Qingzhao, Yang Wan Li, Chu Ta, Shi Tao, Su Dong Bo), je me suis imprégné de leurs écrits et de leurs peintures. Comme on trempe une éponge dans l'eau. Les poètes chinois sont de grands paysagistes ; c'est à partir de lectures, donc à partir des sensations naturelles (« montagne émeraude », « fleurs rouges des pêchers », « brume éparse », etc) que je débutais mes portraits, avec de grands jus abstraits. Les toiles restaient abstraites le plus longtemps possible avant que le visage n'apparaisse. Et, comme c'était un nouveau sujet, j'ai développé toutes sortes d'expérimentations picturales nouvelles : travailler dilué (avec beaucoup d'essence), procéder à des écoulements d'huile sur la toile, pratiquer de nombreux fondus pour obtenir une fusion entre la nature et le visage, et peindre vivement, pour déclencher des états d'ivresse poétique semblables à ceux de mes modèles. Cette saison de portraits a été un grand moment de joie picturale, conjuguant les plaisirs de la lecture poétique, du travail dans le liquide frais qui permet de nombreuses transformations pendant la même séance, et la découverte de la contemplation en peinture, que je dois à ces vieux maîtres toujours si jeunes.